La résilience organisationnelle et l'importance du capital humain

22 avr. 2024

Markus Gerschberger, Melanie Gerschberger et Scott C. Ellis

DOSSIER LOGISTIQUE
» Markus Gerschberger, professeur de l’université des sciences appliquées de Haute-Autriche (Autriche) et de l’institut de technologie de Géorgie (États-Unis)
» Melanie Gerschberger, professeure associée de l’université des sciences appliquées de Haute-Autriche (Autriche)
» Scott C. Ellis, professeur de l’Université de Géorgie du Sud (États-Unis)

La résilience organisationnelle permet aux entreprises de faire face aux perturbations

La résilience organisationnelle désigne la capacité d’une entreprise à faire face aux perturbations qui affectent son activité. Pourtant, peu de recherches s’intéressent à son lien avec les ressources humaines, pourtant essentielles à toute organisation. Si les entreprises créent des structures et des processus pour mieux répondre aux différents scénarios, ce sont bien les employés qui, par leurs décisions et leur capacité à rebondir, conditionnent le succès de la reprise suite à un incident.

Une organisation résiliente a besoin d’employés capables de réagir rapidement et efficacement aux événements critiques. C’est pourquoi, nous nous sommes donc posé deux questions : quelles sont les principales qualités qui permettent aux employés de résoudre avec succès les incidents liés à la chaîne d’approvisionnement ? Comment leurs comportements contribuent-ils à la résilience de l’entreprise ? Pour répondre à ces questions, nous avons mené une étude qualitative basée sur 44 entretiens avec des responsables de quatre entreprises automobiles. Les résultats révèlent dix traits critiques qui expliquent comment ces personnes contribuent à la résilience de leur entreprise.

La résilience organisationnelle dans la chaîne d’approvisionnement

En psychologie, la résilience désigne la capacité d’un individu à s’adapter au stress et à l’adversité. En gestion de la chaîne d’approvisionnement, ce concept fait référence à la manière dont les entreprises font face aux événements inattendus qui perturbent les flux normaux de marchandises ou de matériaux.

Dans le cadre de cette étude, plusieurs événements ont été analysés par le biais de différents témoignages. L’échantillon était composé d’entreprises manufacturières d’Europe occidentale opérant dans les chaînes d’approvisionnement automobiles mondiales. Dans ces entreprises, les perturbations peuvent entraîner des pertes économiques considérables, allant jusqu’à 40 000 dollars par heure et par chaîne de production. Des employés activement impliqués dans la résolution des incidents ont été interrogés. Leurs profils varient en termes d’expérience, de rang et de département. Les noms des entreprises ont été anonymisés, nous les désignerons A, B, C et D.

Résultats : 10 qualités clés de la personnalité

L'analyse des données issues de l’étude a permis de dégager trois conclusions principales. Tout d’abord, la résilience organisationnelle est renforcée par les capacités cognitives des employés à s’adapter aux changements de l’environnement et d’interpréter les événements ambigus. Ensuite, les qualités émotionnelles jouent un rôle très important dans les réponses des entreprises face aux perturbations. Enfin, les données ont révélé que les qualités comportementales telles que la préparation, l’ingéniosité ou l’improvisation sont d’une importance capitale pour prévenir les perturbations, y résister ou s’en remettre. Ces conclusions se rapportent à dix caractéristiques de la personnalité :

La résilience organisationnelle consiste en dix qualités critiques qui expliquent comment les personnes contribuent à la force de leurs entreprises

1. Évaluation de la situation

L’évaluation de la situation est le processus cognitif qui permet de juger si une situation est susceptible de devenir une crise à court terme. Elle implique prudence, conscience et réalisme. La détection proactive des signes avant-coureurs favorise la prévention des perturbations de la chaîne d’approvisionnement. À l’inverse, l’absence d’évaluation peut entraîner de graves pertes financières et opérationnelles. C’est le cas d’une des entreprises de notre étude – n’ayant pas pu anticiper la faillite d’un de ses fournisseurs, elle a créé un poste de risk manager afin d’identifier à l’avance ce genre d’imprévus.

2. Expérience

L’expérience est la somme des connaissances pratiques et des compétences acquises par l’observation directe ou la participation à des activités et à des événements. Elle permet de mieux comprendre les événements en cours. L’analyse a révélé que la résilience organisationnelle s’améliore également lorsque les anciens partagent leurs connaissances avec leurs nouveaux collègues.

Le responsable logistique de l’entreprise C a décrit comment son expérience antérieure l’a aidé à éviter une crise potentielle. Une grève des chauffeurs de taxi bloquait le trafic à proximité de l’un de leurs principaux fournisseurs, ils ont donc décidé de payer davantage leurs prestataires logistiques 3PL pour qu’ils trouvent des itinéraires de substitution et des solutions de remplacement.

3. L’engagement

L’engagement consiste à s’identifier avec l’entreprise et se traduit par une forte croyance dans ses valeurs et ses objectifs. Le responsable de la qualité du groupe D a souligné « l’engagement et la loyauté sont importants parce qu’ils entraînent des taux de rotation plus faibles, les connaissances restant donc plus longtemps dans l’entreprise, ce qui réduit le nombre d’erreurs ».

4. Compréhension

Il s’agit de la capacité à comprendre des événements et des situations qui sont nouveaux, surprenants, ambigus, déroutants ou qui ne répondent pas aux attentes. Elle est particulièrement utile face à des scénarios sans précédent qui nécessitent des réponses inhabituelles. Par exemple, l’entreprise D a constaté qu’une pénurie de 400 radios compromettait sa production hebdomadaire. Plutôt que de terminer les véhicules en faisant appel à une équipe supplémentaire ultérieurement, elle a décidé qu’il était plus rentable de se procurer les 400 radios par avion.

5. Résistance émotionnelle

Il s’agit de la capacité à prendre conscience de ses sentiments et de ses impulsions, des facteurs qui les provoquent et du choix d’un comportement adapté en réponse à une situation critique. Il est important que les employés contrôlent leurs émotions et maintiennent leur objectivité et leurs performances. Les personnes résilientes se concentrent sur ce qu’elles peuvent contrôler, elles considèrent les défis comme des opportunités et cherchent des moyens créatifs de gérer les épisodes stressants.

6. Autonomisation

C’est un état psychologique de motivation intrinsèque, favorisée lorsque le pouvoir et la prise de décision sont partagés entre des personnes de niveaux hiérarchiques différents. L’autonomisation se traduit par une augmentation de la motivation, de la créativité et de l’efficacité. Les employés autonomes pensent, agissent et prennent des décisions de manière indépendantes, et assument la responsabilité de leurs résultats.

7. Sécurité psychologique

La sécurité psychologique correspond à la perception des employés que leur environnement de travail est un espace sûr et où ils s’y sentent bien afin de s’engager dans un comportement de prise de risque et ainsi d’atteindre de meilleurs résultats. Cette qualité lui permet de se développer, d’apprendre, de contribuer et de remplir son rôle sans craindre de paraître incompétent en posant des questions ou en admettant des erreurs. « Il n’y a pas de mauvaise idée ; la seule mauvaise chose est de ne pas savoir quoi faire à un moment critique. Il n’est pas temps de juger les idées des autres, mais il est important d’être créatif et de les partager avec l’équipe pour parvenir à la meilleure solution possible », a déclaré le directeur des opérations de l’entreprise A.

La préparation est une qualité indispensable à la résilience de l'organisation

8. Préparation

Elle consiste à anticiper les difficultés et à prendre des mesures pour les prévenir ou les atténuer. Préparer les employés aux perturbations de la chaîne d’approvisionnement peut réduire le temps nécessaire pour s’en remettre. Cela contribue également à tirer parti d’opportunités qui pourraient autrement passer inaperçues.

9. Proactivité

La proactivité reflète le degré d’autonomie des employés dans la recherche de solutions et d’aides externes afin d’atteindre leurs objectifs individuels et ceux de l’organisation. Ces démarches sont encouragées par des relations interpersonnelles qui favorisent la coopération et facilitent l’accès à d’autres ressources. « La première règle est qu’ils doivent essayer de résoudre les problèmes par eux-mêmes. S’ils n’y parviennent pas, ils doivent alors demander de l’aide », explique un responsable supply chain de l’entreprise B.

10. Improvisation

L’improvisation est l’art de trouver des solutions avec les ressources disponibles. Contrairement à la préparation, elle est moins liée à la routine et nécessite des réponses créatives ad hoc. « Il faut parfois improviser pour trouver une solution et régler le problème le plus rapidement possible », résume le PDG du groupe C. L’improvisation facilite également les processus de récupération.

Conclusions et conseils pratiques

Améliorer les compétences de l’organisation n’est pas le seul moyen de renforcer sa résilience – cette dernière peut également être développée en cultivant la résilience de ses membres. Cette étude propose également des conseils pratiques à l’attention des dirigeants.

  • Les entreprises devraient investir dans une culture qui valorise les employés, leur autonomisation et leur sécurité psychologique. Cette philosophie génère d’autres avantages indirects tels qu’un plus grand engagement et une meilleure rétention des talents.
  • Cette analyse souligne l’importance de la formation et du développement : il est conseillé de renforcer ces qualités critiques. Pour cela, il est possible de mettre en place des jeux de rôle ou de simuler des perturbations pendant les périodes de stabilité. Ces exercices peuvent également permettre de détecter les lacunes.
  • En conclusion, les entreprises devraient encourager leur personnel à innover, à prendre ses propres décisions et à apprendre à en assumer la responsabilité. Les dirigeants devraient par ailleurs les inviter à des réunions et leur permettre de s’exprimer. Les résultats de l’étude suggèrent également que le maintien des effectifs en période de crise renforce l’engagement et la loyauté.

 


 

Auteurs de la recherche :

  • Melanie Gerschberger. Professeure associée en gestion de la chaîne d’approvisionnement à l’université des sciences appliquées de Haute-Autriche (Autriche)
  • Scott C. Ellis. Professeur en gestion de la chaîne d’approvisionnement à l’Université de Géorgie du Sud (États-Unis)
  • Markus Gerschberger. Professeur en gestion de la chaîne d’approvisionnement à l’université des sciences appliquées de Haute-Autriche (Autriche) et professeur affilié à l’institut de technologie de Géorgie (États-Unis)

 


 

Publication originale : Gerschberger, Melanie, Scott C. Ellis, and Markus Gerschberger. 2023. Linking Employee Attributes and Organizational Resilience: An Empirically Driven Model. Edited by Richey R. and Davis-Sramek B. (Wiley). Journal of Business Logistics 44 (3): 407-37.

Cette recherche a été financée par le programme “Guideline to stimulate the development/expansion of future-oriented research fields at Upper Austrian non-university research institutions 2022-2029” de la province de Haute-Autriche.