Le fournisseur, partenaire ou source de valeur

25 août 2025
Pour une chaîne d'approvisionnement résiliente, les partenaires doivent être solides

ANALYSE DÉTAILLÉE
Suketu Gandhi, Michael F. Strohmer, Marc Lakner, Tiffany Hickerson et Sherri He, associés chez Kearney

Le livre « Strong supply chains through resilient operations: 5 principles for leaders to win in a volatile world » explore la manière de repenser les stratégies opérationnelles pour garantir la croissance et la rentabilité des entreprises. Les auteurs, forts de plusieurs décennies d'expérience dans l’accompagnement de leurs clients pour la résolution de problèmes, proposent des approches clés pour renforcer les processus, les équipes et les systèmes afin d’optimiser la résilience et la rentabilité des opérations.

Si vous cherchez à améliorer la résilience de votre entreprise, commencez par modifier la perception que vous avez de vos fournisseurs. Loin d’être de simples maillons isolés, ils constituent une véritable source de valeur. Plutôt que de les considérer comme un ensemble de pièces distinctes au sein de la chaîne d’approvisionnement, voyez-les comme des partenaires stratégiques. La construction d’une supply chain dépend intrinsèquement de leur solidité.

« Bien sûr, les auteurs font référence à la gestion des relations avec les fournisseurs (SRM) », vous dites-vous peut-être. Effectivement, mais pas uniquement. En effet, il est essentiel d'établir des relations solides avec eux, puis de les entretenir pour renforcer le lien. Cependant, certains estiment que le SRM se limite à exercer une pression sur ses fournisseurs pour qu’ils réduisent leurs prix de 4 % supplémentaire. Ce n'est pas une relation, c'est un abus. Comme pour toute relation, le SRM implique de communiquer sur le plan exécutif afin de comprendre les enjeux de l'autre partie.

Comme dans toute relation, le SRM implique de communiquer sur le plan exécutif afin de comprendre les enjeux de l'autre partie

Rational, fabricant d'équipements pour cuisines professionnelles, a remporté en 2022 le prix « Factory of the Year » de Kearney dans la catégorie générale grâce à son étroite collaboration avec ses fournisseurs. Leur stratégie de SRM est axée sur les technologies, la qualité et le développement d'une relation de confiance encourageant les fournisseurs à investir dans des améliorations profitables à toutes les parties. Les programmes de Rational gèrent la croissance de manière conjointe, c'est-à-dire que si un fournisseur doit augmenter sa production, des experts de Rational sont mobilisés afin de mettre en œuvre et optimiser les processus, garantissant ainsi un développement durable pour toutes les parties.

Vos fournisseurs vous assistent-ils dans la phase de conception ? Sont-ils impliqués dans une collaboration ouverte avec vos équipes ou celles de tiers ? Leur avez-vous donné la visibilité dont ils ont besoin pour prendre des décisions éclairées et rentables ? Gérer la collaboration, la transparence et la satisfaction est au cœur du SRM, puisque vos fournisseurs sont une source de valeur qu’il faut maximiser, et non pas simplement minimiser les coûts.

Il ne s'agit pas ici de négliger les coûts, mais de ne pas se concentrer exclusivement sur eux. Les fournisseurs clés devraient être considérés avant tout comme des partenaires stratégiques plutôt que générateurs de valeur. La confiance reste une responsabilité partagée :

  • Vous pouvez soutenir vos fournisseurs dans les moments difficiles, avec la certitude qu'ils en feront de même pour vous.
  • Ils pourraient vous demander de consulter les détails de votre planification des ventes et des opérations (S&OP) en espérant que vous remédierez à un problème. Après tout, si vous avez des problèmes de S&OP, vos fournisseurs en paient souvent le prix.
  • Vous pourriez demander à consulter les comptes de vos fournisseurs, sachant qu’ils vous feront confiance pour ne pas négocier les prix. L’objectif est plutôt de voir où ils rencontrent des difficultés avec leurs propres fournisseurs, par exemple, afin de potentiellement les aider avec les négociations et la refonte de leurs processus.

Tous les fournisseurs ne sont cependant pas éligibles à un tel partenariat. Vos ingénieurs se déplaceront sur leur site, votre directeur des achats rencontrera leur directeur général, et idéalement même votre PDG devrait échanger avec le leur. Il est évident que cela ne concerne que les fournisseurs majeurs, impliqués dans des contrats de plusieurs millions et des volumes importants. Néanmoins, vous pouvez vous inspirer de cette philosophie pour essayer d'instaurer une culture de coopération avec tous les fournisseurs, encourageant des relations fondées sur la confiance et la collaboration.

La résilience de la chaîne d'approvisionnement passe par le renforcement de ses maillons, et, pour y parvenir, les relations de confiance avec les partenaires clés sont fondamentales. Face à une nouvelle crise, un fournisseur résilient ne faiblira pas et ne se tournera pas vers d'autres clients, ce qui évitera également de nuire aux activités de l'entreprise.

L'ensemble de l'entreprise doit imaginer des chaînes résilientes de bout en bout

La pensée holistique renforce la résilience

La collaboration avec les fournisseurs va bien au-delà de simples feuilles de calcul partagées et de spécifications techniques – ils doivent comprendre comment ils contribuent à la valeur du produit final. Par exemple, si vous êtes un constructeur automobile, et que votre producteur d'acier connaisse vos exigences et y réponde est une bonne chose, car cela garantit le respect de certaines normes. Mais s'il comprend également que votre client s'attend à un design innovant, alors un véritable partenariat se met en place.

Par exemple, si vous êtes un constructeur automobile, votre producteur d'acier doit connaître vos exigences. Mais s'il comprend également que votre client s'attend à un design innovant, alors un véritable partenariat se met en place

Et si vous fabriquiez des iPhones ? De même, votre fournisseur ne devrait pas se contenter de respecter les consignes d'Apple en se disant : « Apple est un géant, je vais faire ce qu'on me dit ». Il devrait plutôt se focaliser sur ce qui ajoute de la valeur aux yeux du client, tel que la mise au point d'un écran tactile résistant aux chutes. Un fournisseur vraiment engagé en faveur de l'innovation intégrerait ces priorités dans ses décisions : « Mes ingénieurs ont réussi à amincir le verre, je vais en parler à Apple ! ».

Comment un fournisseur va-t-il acquérir cette connaissance ? Par l'intermédiaire de son service achats, chargé à la base d'étudier les marchés, les coûts et les prix. En réalité, cette équipe a besoin d'une connaissance approfondie de ses fournisseurs et de leurs produits. Plus elles en savent sur chacun, plus elles peuvent collaborer, développer, repenser et transformer la chaîne d'approvisionnement.

Autrement dit, l'acheteur famille (category buyer) doit aussi jouer un rôle de responsable catégorie (category manager), car, s'il se concentre uniquement sur la manière de faire des économies, ils n’auront pas de vision globale. Ils nécessitent donc une connaissance approfondie du marché : quelles sont les technologies disponibles ? Y a-t-il quelque chose d'unique ? En quoi chaque fournisseur se démarque-t-il ?

Il faut tout savoir sur le marché : Quelles sont les technologies disponibles ? Qu'y a-t-il d'unique ? En quoi chaque fournisseur se démarque-t-il ?

Prenons un exemple : lorsqu'un fabricant de fournitures industrielles a envisagé de changer de fournisseur de câbles, la responsable catégorie ne s'est pas contentée d'identifier une possibilité apparente de faire 25 % d'économies. Elle a contacté l'ingénierie pour se renseigner sur la manière dont les câbles étaient utilisés et sur les facteurs influençant le coût des matériaux. Elle a découvert que les câbles les moins chers avaient tendance à se rompre au bout de quatre ans, même s'ils étaient garantis cinq ans. L’entreprise gagnerait en résilience en refusant ce changement et en discutant de réductions de coûts collaboratives avec le fournisseur actuel. Mais aurait-elle fait ce choix si ses incitations ne mesuraient que les économies réalisées par le service des achats ?

La gestion des fournisseurs ne se limite toutefois pas aux achats. L'ensemble de l'entreprise doit adopter une vision de bout en bout de la résilience de la chaîne d'approvisionnement. Si le service des achats recherche par exemple des matériaux alternatifs, il aura besoin du soutien de la R&D pour en vérifier la viabilité. Et pour qualifier ces matériaux, ils nécessitent l’appui des tests de fabrication.

La résilience de la chaîne d'approvisionnement passe par la délégation et la décentralisation de la prise de décision. Face à la complexité extrême des réseaux modernes, aucun acteur unique n’a le pouvoir de contrôler l’ensemble de la chaîne de valeur. Dans ce contexte, le modèle traditionnel de gestion cloisonnée devient alors inefficace, rendant la collaboration entre les parties prenantes essentielle. Fournisseurs secondaires, plateformes technologiques, producteurs et distributeurs doivent tous déployer l'analyse prédictive de données pour atteindre une visibilité maximale. Une visibilité est en effet nécessaire sur les évolutions de la demande et des contraintes d’approvisionnement à mesure qu’elles apparaissent, ainsi que sur les risques cachés éventuels.

Une visibilité est nécessaire sur les évolutions de la demande et des contraintes d’approvisionnement, et une visibilité maximale repose sur l’analyse prédictive de données

Pour cette raison, nous parlons de renforcer les écosystèmes de fournisseurs. La signification du terme « chaîne d’approvisionnement » est bien connue, c'est pourquoi il reste utile, mais les deux mots sont en quelque sorte désuets :

  • Plutôt que d’une usine approvisionnée en marchandises, il s'agit d'une chaîne de valeur qui s’étend jusqu’au consommateur final.
  • Plutôt que de considérer cette relation comme une chaîne, fragile en raison de la vulnérabilité de son maillon le plus faible, il faudrait la gérer comme un écosystème, en tirant parti de ses interdépendances et en encourageant une collaboration plus fluide entre les acteurs clés.

 

« Strong Supply Chains Through Resilient Operations: 5 Principles for Leaders to Win in a Volatile World » Extrait de « Strong supply chains through resilient operations: 5 principles for leaders to win in a volatile world », de Suketu Gandhi, Michael F. Strohmer, Marc Lakner, Tiffany Hickerson et Sherri He. Réimprimé avec l’autorisation de Wiley. Copyright © 2024 A.T. Kearney, Inc. Tous droits réservés. Ce livre est en vente en ligne au format e-book ou relié.