Internet Physique : innovation de rupture pour une chaîne d'approvisionnement durable

27 janv. 2022

Milos Milenkovic, Chercheur postdoctoral au Programme Internationale de Logistique MIT-Zaragoza

PAR MILOS MILENKOVIC
Chercheur postdoctoral au Programme Internationale de Logistique MIT-Zaragoza.

Imaginez un système mondial de transport de marchandises fonctionnant comme Internet : les marchandises seraient transportées dans des colis ou des conteneurs normalisés. Le réseau, qui n’aurait pas besoin de connaître le contenu, déciderait de manière autonome du meilleur itinéraire : transporteurs, véhicules, nœuds et modes de transport, modifiable en fonction des circonstances. Le changement de transporteur, de véhicule ou d’un mode de transport pour un autre n’entraînerait que des pénalités insignifiantes en matière de coût et de temps. L’expéditeur et le destinataire n’auraient pas besoin de connaître ou de comprendre les détails concernant le transport du conteneur. L’ensemble du réseau s’appuierait sur des protocoles reconnus au niveau international et serait ouvert à tout utilisateur. Cette transformation vers un transport plus efficace contribuerait grandement à rendre la logistique mondiale plus durable.

Le concept présenté est connu sous le nom d’Internet physique (PI pour Physical Internet ou, inévitablement, π). Présenté pour la première fois il y a une dizaine d’années par Benoît Montreuil du Centre interuniversitaire de recherche sur les réseaux d’entreprise, la logistique et le transport (CIRRELT) de Montréal, le système de transport global π pourrait être vu comme un simple modèle théorique. Cependant, tous les éléments technologiques nécessaires à sa création existent déjà et beaucoup d’entre eux ont déjà été testés. Certains des obstacles auxquels se heurte l’Internet physique ne sont pas de nature technique, mais plutôt d’ordre économique, social et politique.

Tous les éléments technologiques nécessaires à la mise en œuvre de l’Internet physique existent déjà et ont été testés

Pourquoi créer un Internet physique ?

Malgré des siècles d’amélioration continue, les nombreuses inefficacités des systèmes de transport et de logistique des entreprises continuent d’avoir un impact économique, environnemental et social négatif. Les coûts de transport des marchandises continuent d’augmenter et risquent même d’annuler, voire de dépasser les bénéfices réalisés dans d’autres parties de la chaîne logistique. L’impact social de ces inefficacités a également d’autres conséquences telles qu’un plus grand nombre d’accidents, la pollution, la mauvaise gestion du temps ou la détérioration des conditions de travail des transporteurs.

D’un point de vue environnemental, le transport de marchandises est l’une des principales causes des émissions de gaz à effet de serre (28 % dans l’Union européenne). Bien que les émissions de l’UE soient généralement en baisse, celles liées au transport ont augmenté de 0,9 % en 2018 et encore de 0,8 % en 2019.

La création d’un Internet physique permettrait de relever les défis suivants :

  • La capacité de transport disponible est sous-exploitée. Les wagons de marchandises, les camions et les conteneurs sont souvent à moitié vides, en raison notamment de l’utilisation d’emballages inadaptés et surdimensionnés.
  • Les flux de retours sont inefficaces, car les agences de transport gaspillent les trajets de retour. En conséquence, un quart des trajets routiers se font à vide.
  • Les installations logistiques sont souvent sous-exploitées pendant une grande partie de l’année, en raison du caractère saisonnier des produits et du marché.
  • Le transport routier est le moyen de transport prédominant malgré son impact environnemental important. En 2019, le transport routier a représenté 76,3 % du transport intérieur, avec une croissance annuelle prévue de 3 % sur la période 2021-2025 malgré le manque de chauffeurs.
  • Les inefficacités opérationnelles s’opposent à d’autres alternatives plus souhaitables. Les différents modes de transport courants sont mal synchronisés, le transbordement des marchandises entre les modes de transport étant, à l’heure actuelle, encore inefficace en matière de temps et de coûts. Pourtant, les trains sont quatre fois plus économiques et efficaces que les camions, le transport ferroviaire de marchandises réduisant de 75 % les émissions de gaz à effet de serre.
  • La logistique des livraisons du dernier kilomètre peut être améliorée, notamment en zones urbaines. En effet, environ 40 % des coûts de transport par produit sont générés dans le dernier kilomètre. La logistique urbaine est également responsable de 70 % des embouteillages dans les grandes villes. De même, le croissance continue du e-commerce implique une fréquence encore plus élevée de petites livraison vers des destinations toujours plus nombreuses.

La demande actuelle en transport de marchandises devrait tripler d’ici 2050, une croissance manifestement intenable sur le plan social et économique, sans parler de l’impact environnemental. Il est donc essentiel d’identifier des approches et des solutions innovantes en matière de logistique et de transport de marchandises qui permettraient de dissocier la croissance économique de la hausse du trafic de marchandises. L’Internet physique, π, en étant une de ces solutions.

L’Internet physique promet de dissocier la croissance économique de l’augmentation du trafic de marchandises, qui devrait tripler d’ici 2050

L’Internet des objets

La définition officielle de l’Internet physique est la suivante : « un système logistique ouvert, mondial et multimodal basé sur l’interconnectivité physique, numérique et opérationnelle universelle, mis en place via l’encapsulation des données, des protocoles et des interfaces standard ».

Pour mieux comprendre le concept de l’Internet physique, il peut être utile d’examiner ses similitudes avec l’Internet classique, qui relie des milliards d’appareils entre eux, partout dans le monde pour qu’ils communiquent. Toute personne ayant accès à un ordinateur ou à un smartphone (des particuliers, des entreprises, des gouvernements) peut se connecter à l’Internet. De même, tout expéditeur et tout destinataire pourrait se connecter à l’Internet physique et l’utiliser. (Pour les deux réseaux, il est nécessaire de trouver des moyens d’exclure les cybercriminels).

En ce qui concerne l’Internet classique, les informations sont divisées en paquets de données et transmises sur un réseau composé de liens de communication. Les données contenues dans chaque paquet étant encapsulées sans être inspectées ou traitées par l’Internet. De même, sur l’Internet physique le flux de marchandises est scellé dans une série de conteneurs standard. Le π n’aurait donc pas besoin d’inspecter leur contenu (les douanes pourraient prendre en charge cette inspection, mais elle ne signifierait pas un souci pour le réseau lui-même).

L’en-tête numérique du paquet contient toutes les informations nécessaires à son identification et éviter les erreurs lors de son transport vers sa destination. Les paquets de données sont acheminés au moyen de routeurs, transportés par des câbles optiques, par exemple, et commutés entre différents supports via des modems. Sur l’Internet physique, chaque conteneur π est muni d’étiquettes RFID et GPS afin qu’il puisse être identifié, acheminé et traqué lors de son passage sur le réseau.

Sur l’Internet physique, les marchandises contenues dans des paquets standards (les π-conteneurs) sont transportées par des prestataires logistiques à travers un réseau physique de couloirs

Sur l’Internet classique, les fournisseurs offrent un service Internet aux utilisateurs par le biais de protocoles de normalisation et d’organisation des opérations. Les utilisateurs, quant à eux, bénéficient d’une connexion sans faille, c’est-à-dire qu’ils peuvent utiliser l’Internet sans avoir à comprendre comment leurs données sont acheminées de leur origine à leur destination. De la même manière, sur l’Internet physique les marchandises seraient distribuées en paquets standards appelés π-conteneurs, équivalents aux paquets de données, que les prestataires logistiques transporteraient à travers un réseau de couloirs physiques. Ainsi, l’infrastructure composée de fils en cuivre, fibre et micro-ondes de l’Internet classique serait remplacée par des routes, des chemins de fer et des avions pour le π.

Sur l’Internet physique :

  • Les centres de distribution géreraient les flux de π-conteneurs vers et depuis le réseau (action similaire à l’envoi et réception d’un message sur un appareil mobile).
  • Les modes de transport π transporteraient les flux de π-conteneurs sur différents modes.
  • Les terminaux intermodaux, ou π-nœuds, permettraient aux marchandises de passer d’un véhicule ou d’un mode de transport à l’autre. Des protocoles et des normes universels garantiraient que les marchandises provenant de partout dans le monde puissent être livrées n’importe où.

Comme pour le réseau numérique, les utilisateurs π s’appuieraient sur l’Internet physique et ses services pour envoyer des produits vers n’importe quelle destination sans avoir à connaître l’itinéraire des marchandises. La figure 1 montre un exemple de l’Internet physique.

Schéma de l’Internet physique (Dong and Franklin, 2018)

Figure 1 - Schéma de l’Internet physique (Dong and Franklin, 2018).

Normes et connectivité

Il existe déjà des normes en matière de logistique mondiale concernant, par exemple, les dimensions des conteneurs ou des palettes, pour faciliter leur distribution, ou les messages EDI (electronic data interchange). Cependant, leur adoption est loin d’être universelle. L’Internet physique généralise et étend considérablement le concept de « normalisation » ainsi que celui de « connectivité ».

La connectivité universelle est l’une des caractéristiques les plus importantes de l’Internet physique, elle est nécessaire pour :

  • L’interconnectivité physique. Elle garantit une circulation sans problème et fluide des envois à travers le réseau. Pour ce faire, des normes sont nécessaires pour les conteneurs, les transporteurs et les systèmes de manutention.
  • L’interconnectivité numérique. Elle permet aux objets et aux acteurs intervenant dans la chaîne d’approvisionnement d’échanger des informations significatives à travers l’Internet physique. Cet aspect de l’Internet des objets (IoT) est déjà bien développé.
  • L’interconnectivité opérationnelle. Elle garantit que les processus opérationnels et commerciaux soient parfaitement interconnectés. Ainsi, les utilisateurs peuvent facilement utiliser l’Internet physique et les acteurs concernés peuvent coopérer pour offrir un meilleur service. Ce type d’interconnectivité pourrait s’avérer être le plus difficile à obtenir.

L’interconnexion physique au service d’un flux de marchandises continu

Conteneurs

L’Internet physique ne traiterait pas le fret en vrac, ni les palettes ou les marchandises non conteneurisées. Elle ne prendrait en charge que les marchandises en π-conteneurs. Les π-conteneurs auraient des tailles ou des modules standard, respectueux de l’environnement (fabriqués à partir de matériaux écologiques), intelligents (traçables par RFID et GPS et capables d’interagir avec le réseau), sécurisés, emboîtables pour créer des unités plus grandes et, dans la plupart des cas, capables d’être compactés pour optimiser le stockage et améliorer l’efficacité des retours (figure 2).

Caractéristiques des π-conteneurs

Figure 2 - Caractéristiques des π-conteneurs.

Les π-conteneurs seraient de tailles et de formes variées et pourraient être assemblés et désassemblés (tels que des blocs de construction type Tetris). Les conteneurs de transport seraient équivalents aux bacs ISO, les conteneurs de manutention seraient les unités de manutention de base des articles (équivalents aux chariots et aux palettes) et les conteneurs d’emballage seraient les conteneurs de base des articles ou des UGS.

L’Internet physique ne traiterait pas les marchandises en vrac, ni les palettes ou les marchandises non conteneurisées. Elle ne prendrait en charge que des marchandises en π-conteneurs

Circulation

Sur l’Internet physique, les π-conteneurs seraient transportés par ce que l’on appelle des π-movers, comprenant :

  • π-transporteurs. Camions et wagons de marchandises conçus pour fonctionner avec des π-convoyeurs pour le chargement, le déchargement et le transfert de marchandises.
  • π-convoyeurs. Ils seraient analogues aux systèmes actuels de tri automatique. Des essais ont déjà été réalisés avec différentes approches, sans courroies ou rouleaux, et ont montré de bons résultats (figure 3).
  • π-opérateurs. Ce sont des personnes formées au travail avec des π-conteneurs.

π-manipulateurs (Montreuil, 2010)

Figure 3 - π-manipulateurs (Montreuil, 2010).

Nœuds

Comme pour les réseaux logistiques classiques, des nœuds existent pour le transfert des envois d’un transporteur ou d’un mode à l’autre. Dans les systèmes traditionnels, ces nœuds réalisent souvent des tâches supplémentaires (transport en vrac, reconditionnement, étiquetage, etc.) au détriment de l’efficacité du transport.

Sur l’Internet physique, les π-nœuds seraient purement des systèmes de manutention, de stockage et de transfert, pour assurer :

  • Des entrées et sorties de produits rapides et fiables..
  • Une connexion parfaite entre les véhicules de transport et les systèmes chargés du déplacement des produits sur l’Internet physique. Les π-nœuds se connecteraient également au logiciel client pour le suivi et l’interface avec les π-conteneurs.
  • Contrôle et sécurité des π-conteneurs pour protéger leur intégrité.

Les π-nœuds auraient différentes capacités, allant du simple transfert de π-transporteurs entre π-véhicules (cross-docking) au complexe multiplexage multimodal de π-conteneurs. Les π-nœuds seraient publiquement notés sur la base d’indicateurs clés de performance tels que la vitesse, le service, les contraintes sur les dimensions des π-conteneurs manipulés et la capacité disponible. Ces informations seraient utilisées par les clients (physiques ou virtuels) à des fins de routage et à la prise de décision.

La connectivité opérationnelle au service du transport interconnecté

Optimisation des itinéraires

À l’heure actuelle, il existe deux façons de transporter des marchandises. La première étant le service direct (point à point), lorsque le volume de marchandises justifie l’utilisation d’un camion ou d’un train complet pour les distribuer. En revanche, lorsque le volume d’articles à distribuer est faible, les entreprises ont recours à des nœuds intermédiaires (hubs) et des camions partiellement remplis (pratique aussi appelée hub-and-spoke).

Les deux modes de transport des marchandises sont inefficaces. Le service peut obliger à retarder les expéditions en attendant que le camion soit entièrement chargé (ou que le véhicule roule partiellement chargé), et souvent le camion doit revenir à vide. Avec le hub-and-spoke, il est plus facile de regrouper les marchandises de différentes commandes et de s’assurer ainsi que le camion ne revient pas à vide. L’inconvénient étant une perte de temps importante mais aussi des coûts supplémentaires liés à la manutention des marchandises et au transbordement.

L’Internet physique réduirait considérablement les délais de transport moyens et les coûts

Les inefficacités associées au transport de marchandises pourraient être changés grâce à l’Internet physique. Ce dernier étant un réseau de transport intermodal réparti sur plusieurs segments (figure 4). Chaque π-transporteur acheminerait un chargement jusqu’au prochain centre de transit présent sur l’itinéraire, puis récupérerait un chargement de retour et retournerait à son point d’origine. Au π-hub, le même transporteur ou un autre (ou mode de transport) récupèrerait le chargement dans un court délai et le transférerait au prochain centre de transit, ce dernier étant déterminé en fonction de l’itinéraire optimal pour ce conteneur. De cette manière, le délai moyen de transport serait considérablement réduit et les coûts diminueraient.

Réseau mondial ouvert de mobilité (Montreuil, 2012)

Figure 4 - Réseau mondial ouvert de mobilité (Montreuil, 2012).

Prise de décision autonome

Sur l’Internet physique, différents critères pourraient être utilisés pour générer les itinéraires de transport. Cependant, l’objectif principal est de parvenir à créer des itinéraires de transport autonomes conformément aux procédures et aux protocoles convenus.

  • Niveau bas : le π-conteneur n’aurait aucune capacité de décision ou intelligence. Les expéditeurs ou les prestataires logistiques organiseraient les itinéraires avant la distribution. Cela pourrait nécessiter certains arrêts, par exemple lorsqu’un certain type de chargement doit franchir un passage frontalier pour entrer dans un pays particulier. L’Internet physique s’occuperait de ces inconvénients de manière autonome.
  • Niveau moyen : le π-conteneur disposerait d’un minimum d’autonomie pour la prise de décision. Les prestataires logistiques (humains ou virtuels) recevraient des informations telles que l’emplacement et le statut des π-conteneurs et prendraient des décisions qui seraient transmises au π-conteneur et aux acteurs impliqués dans l’Internet physique. Les π-conteneurs auraient une autonomie limitée en cas de besoin urgent de prise de décision.
  • Niveau élevé : dans leur version la plus développée, les π-conteneurs disposeraient d’une autonomie décisionnelle maximale. Il suffirait aux prestataires logistiques de préciser l’heure des envois, la destination finale et les règles établies (délai, coût et empreinte carbone plus faibles). Les π-conteneurs et les différents acteurs impliqués dans l’Internet physique décideraient de l’itinéraire, en ayant recours aux prestataires logistiques dans les situations extrêmes.

Un Internet physique ouvert

Dans les systèmes logistiques existants, la plupart des entrepôts et des centres de distribution sont utilisés par un ou quelques acteurs dans un réseau privé. L’Internet physique permettrait le passage des chaînes d’approvisionnement privées à un réseau d’approvisionnement mondial et plus ouvert :

  • Les nœuds seraient entièrement accessibles à la plupart des acteurs (fabricants, distributeurs, prestataires logistiques, détaillants et autres utilisateurs). Les utilisateurs auraient ainsi plus de liberté quant aux points de stockage de leurs marchandises et pourraient établir des plans de réapprovisionnement plus souples et plus réactifs.
  • La capacité des nœuds à traiter, stocker ou déplacer les marchandises pourrait également être achetée à la demande ou sur une base contractuelle, en fonction de l’utilisation.

On peut s’attendre à ce que les systèmes de gestion d’entrepôt (WMS) sur l’Internet physique soient tout aussi ouverts et connectés. Toutefois, l’accès au WMS pourrait être limité à une entreprise ou à un groupe de clients liés (comme pour les réseaux privés virtuels, VPN) pour des raisons commerciales et de confidentialité. De même, puisque l’Internet physique ne prendrait en charge que les conteneurs et non leur contenu, cela n’aurait pas d’incidence sur leur exécution. La figure 5 illustre la transition des réseaux d’approvisionnement privés vers un réseau d’approvisionnement mondial et ouvert.

Cinq réseaux de distribution d’entreprises sur un réseau fermé

a) Cinq réseaux de distribution d’entreprises sur un réseau fermé.

Réseau de distribution collaboratif de cinq entreprises partenaires

b) Réseau de distribution collaboratif de cinq entreprises partenaires.

Figure 5. Passage de réseaux d’approvisionnement privés à un réseau d’approvisionnement ouvert et mondial composé de cinq entreprises présentes sur différents marchés nord-américains (Sohrabi et al., 2012).

Un réseau d’approvisionnement mondial et ouvert aurait des effets positifs importants en matière de réduction des délais, d’utilisation plus efficace des actifs immobilisés et mobilier, et de réduction des dommages économiques, sociaux et environnementaux.

Les conclusions tirées de la proposition d’Internet physique

  • L’Internet physique est modelé sur des protocoles de l’Internet classique. La circulation de paquets d’informations (des données pour l’Internet classique, des marchandises pour le π) de l’expéditeur vers le destinataire est automatiquement organisée et réalisée par le système. Cela permet une utilisation optimale de la capacité disponible sur le réseau sans aucune intervention humaine.
  • L’organisation de l’Internet physique est orientée vers les centres de distribution (hub). Les envois sont acheminés vers le centre de distribution le plus proche, puis transportés de manière optimale vers le centre de distribution suivant le plus proche de la destination.
  • Les marchandises elles-mêmes ne sont pas manipulées, mais des conteneurs intelligents, écologiques et modulaires sont gérés à la place.
  • Les transbordements ont lieu automatiquement sans intervention humaine. Les temps d’attente sont réduits grâce aux capacités prospectives du système, axées sur les données.
  • Les distances entre les centres de distribution seront choisies en vue d’optimiser les coûts de transbordement et la capacité des véhicules.
  • Pour les expéditions à longue distance, il est possible d’utiliser plusieurs centres intermédiaires. Cependant, le facteur de chargement des actifs de transport sera élevé et les retards dus aux embouteillages seront évités.
  • Les expéditeurs et les prestataires logistiques disposeront d’informations en temps réel sur l’heure d’arrivée estimée de l’envoi.

Selon une feuille de route proposée par ALICE, le déploiement complet de l’Internet physique serait possible d’ici 2040

Pourquoi pas ?

Si la proposition ci-dessus est convaincante et que les diverses technologies requises sont déjà disponibles, qu’est-ce qui empêche le déploiement de l’Internet physique ?

Dans le cadre du Pacte vert pour l’Europe, l’Union européenne vise à devenir le premier continent neutre sur le plan climatique d’ici 2050.

L’Internet physique, qui est probablement le projet le plus ambitieux dans la quête des transports performants et durables, soutiendrait la transition vers le zéro émissions. Selon une feuille de route proposée par ALICE (plateforme technologique européenne pour la recherche et l’innovation en logistique par la collaboration), la mise en œuvre complète de l’Internet physique serait réalisable d’ici 2040.

L’Internet physique pourrait réduire significativement les temps de transports comme les coûts

Bien que l’Internet physique offre des améliorations significatives en matière d’agilité, de robustesse, de résilience et d’empreinte environnementale des chaînes d’approvisionnement, sa mise en œuvre progresse peu et reste limitée. Voici quelques-uns des principaux obstacles :

  • La réticence de certaines entreprises à collaborer. Les entreprises collaboratives existantes se limitent à quelques intervenants et sont plutôt difficiles à évaluer ou à généraliser.
  • L’absence d’outils et de processus universellement adoptés. Les normes existantes pour les outils et les processus dans le secteur de la logistique ont des limites qui empêchent leur adoption universelle.
  • Un réseau universellement interconnecté doit non seulement être techniquement viable et économiquement rentable, mais aussi être accepté par la société et l’industrie. Il est nécessaire de démontrer que l’Internet physique peut fonctionner, premièrement par des tests pilotes afin d’instaurer la confiance et le consensus par rapport à sa conception et à son fonctionnement. Mais, comme pour tous les réseaux, il existe un effet d’échelle important, et les démonstrations à petite échelle risquent donc de ne pas révéler de manière convaincante les avantages majeurs de l’Internet physique.

Un moyen de stimuler le développement et l’adoption de l’Internet physique serait à travers une approche graduelle renforçant la croissance progressive en matière de complexité et de couverture. Cette transition progressive serait possible par des actions de recherche et d’innovation planifiées, spécifiques et continues, basées sur une collaboration globale entre l’industrie et les universités.

 


 

Dr. Milos Milenkovic a travaillé comme chercheur au ZLC. Il est actuellement professeur adjoint à la Faculté d’ingénierie des transports et du trafic de l’Université de Belgrade, en Serbie. Milos Milenkovic est titulaire d’un doctorat en sciences techniques dans le domaine du trafic et du transport, et plus particulièrement dans le trafic ferroviaire de marchandises et les problématiques de dimensionnement des parcs, d’un Master en sciences techniques axé sur les problèmes de répartition des trains, et un Master en systèmes de transport ferroviaire intelligents de la faculté d’Ingénierie des transports et du trafic (Université de Belgrade).